L’importance et la force de la suggestion commune

02 jeu, 2023

Reyes c. R., 2022 QCCA 1689

Dans le système de droit criminel canadien, il est possible pour les avocats de la défense et ceux du ministère public de s’entendre afin de suggérer communément la peine que l’accusé se verra imposer ainsi que les modalités de cette dite peine. Le juge se doit par la suite d’examiner l’entente convenue afin de l’accepter ou de la rejeter. L’arrêt Anthony-Cook rendu en 2016 est d’ailleurs venu préciser l’examen auquel doit se soumettre le juge, soulignant d’un même souffle l’importance des suggestions communes dans notre système judiciaire. La Cour suprême nous enseigne que le juge se doit d’accepter cette suggestion, sauf si cette dernière est contraire à l’intérêt public et qu’elle discréditerait l’administration de la justice. Dans l’affaire R. c. Reyes , la Cour d’appel, dans ses motifs majoritaires rédigés par le juge Gagnon et auxquels souscrit le juge Bachand, conclut que le juge de première instance n’a pas procédé correctement à cet examen, commettant ainsi une erreur de principe révisable. Dans ses motifs concurrents, le juge Healy opine que le juge de première instance a simplement fait un nouvel exercice de détermination de la peine, ce qui constitue une erreur au principe déjà établi.

Les faits

Dans le présent cas, les parties avaient fait une suggestion commune au juge en proposant une peine de 3 mois, concurrente à toute autre peine pour laquelle l’appelant avait déjà plaidé coupable. Cette suggestion commune prenait compte du fait que l’appelant avait réglé plus d’une vingtaine de dossiers et qu’une erreur administrative ne lui avait pas permis de régler ce dossier avec les autres. Ce facteur aurait milité vers l’imposition d’une peine concurrente et c’est pourquoi les parties jugeaient que la peine était adéquate. Lors de l’audition, après que l’accusé ait plaidé coupable, le juge a annoncé aux parties qu’il refusait d’honorer leur suggestion commune puis a imposé une peine de six mois consécutive à toute autre peine. Devant la Cour d’appel, l’appelant se pourvoit contre la peine qui lui a été imposée par le juge de première instance au motif qu’il n’a pas appliqué le bon critère lors de l’examen de la suggestion commune.

Le jugement

Dans le présent arrêt, les juges expliquent que selon le critère de l’intérêt public énoncé dans l’arrêt Anthony-Cook, le juge de première instance ne pouvait écarter la suggestion commune que si la peine proposée était susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle n’était pas dans l’intérêt public. Il doit se demander si des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice. Il s’agit d’un critère très rigoureux imposant une déférence importante envers la suggestion des parties.

À cet effet, la Cour explique et réitère à quel point il est important pour le système judiciaire que les suggestions communes soient protégées par un critère rigoureux. Ceci crée une incitation à inscrire des plaidoyers de culpabilité ce qui permet d’épargner les victimes et le système de justice de procès longs et couteux. Cela constitue aussi un avantage pour l’accusé qui peut être pratiquement assuré que la peine proposée conjointement entre lui, son avocat et la couronne sera celle qui lui sera infligée.

Un critère moins rigoureux tel que celui de la justesse dans lequel le juge se demande ce que serait une juste peine ou une peine appropriée n’a pas ces effets. C’est d’ailleurs pourquoi la Cour suprême, dans l’arrêt Anthony-Cook , explique que si le test de l’intérêt public est dissimulé ou confondu de façon à être fusionné avec celui de la justesse, alors cela constituerait une erreur de principe.

En l’espèce, les juges majoritaires sont d’avis, après avoir étudié les motifs du juge de première instance, qu’il a commis une telle erreur de principe. Ils concluent que dans ses motifs, le juge de première instance a, sous le couvert de l’intérêt public, appliqué le critère de la justesse de la peine. De plus, il a erré en omettant de se pencher sur le contexte procédural particulier des dossiers, ce qui dans le présent cas était d’une importance capitale.

Ainsi, les juges ont accueilli l’appel de l’accusé et ont rétabli la peine qui avait été suggérée par les parties en première instance.

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