Les limites à l’inviolabilité du domicile
05 mer, 2021
Un des fondements les plus anciens du droit canadien est le principe selon lequel le domicile d’une personne est inviolable. La jurisprudence canadienne reconnaît toutefois, notamment depuis l’arrêt R. c. Evans de la Cour suprême du Canada, le principe de « l’invitation implicite ». En l’espèce, l’opération consiste à envoyer un agent d’infiltration cogner à la porte de la résidence et en informer l’occupant que « tout le monde vient de se faire arrêter » et que « le patron fait dire de se débarrasser du stock ». Il invite donc l’occupant à lui « remettre le stock » afin qu’il puisse s’en occuper. « The poorest man may in his cottage bid defiance to all the forces of the Crown. […] So be it—unless he has justification by law. » – Lord Denning, 1964 Tremblay c. R., 2020 QCCA 1131
Les faits
Dans la présente affaire, un agent d’infiltration s’est présenté à la porte d’une résidence pour tenter, par la conversation avec son occupant, d’obtenir des motifs raisonnables suffisants pour demander l’émission d’un mandat de perquisition. Afin de recevoir la marchandise, l’agent d’infiltration souhaitait informer l’occupant que « tout le monde » venait de se faire arrêter et que son « patron » lui disait de se débarrasser du stock ».
Le jugement
La Cour d’appel du Québec devait déterminer si ce procédé constituait une fouille au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour d’appel débute en affirmant que les principes dégagés de l’arrêt R. c. Evans s’appliquent même qu’il y a un agent d’infiltration impliqué. Toutefois, lorsque ce policier se présente à une résidence pour interroger l’occupant à des fins d’enquête légitime, des informations incriminantes peuvent légalement être obtenues si l’occupant consent à la révéler. Ainsi, la Cour d’appel du Québec souligne que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en considérant que les informations obtenues lors de la conversation ne constituaient pas une fouille au sens de l’article 8 de la Charte. Elle poursuit en statuant que la conversation elle-même n’est pas une fouille et que le but de l’agent d’infiltration n’était pas de recueillir des éléments de preuve, puisqu’il a refusé d’entrer dans la maison. Conséquemment, la Cour a rejeté le pourvoi de l’accusé et a confirmé sa déclaration de culpabilité en première instance. Bref, les agents de l’État sont autorisés à se présenter à la porte d’un domicile dans l’intention de questionner l’occupant afin de faire progresser une enquête légitime. Pour que l’enquête puisse être qualifiée de « légitime », ces mêmes agents doivent être en possession d’information permettant de faire un lien entre les occupants de la résidence et une conduite criminelle réelle ou soupçonnée. En l’absence d’une telle information, il s’adonne à une partie de pêche et, ce faisant, outrepasse l’invitation implicite. Ces faits constituent un bel exemple de la règle de « l’invitation implicite ». Bien que la Cour d’appel du Québec rejette les prétentions de l’accusé, elle reconnaît qu’il « est vrai que le présent dossier se trouve à la limite des principes énoncés dans l’arrêt R. c. Evans. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans R. c. Evans : « de toute évidence, on ne peut pas présumer que les occupants d’une maison invitent les policiers (ou qui que ce soit) à s’approcher de leur maison pour établir le bien-fondé d’une accusation portée contre eux. »