La profération de menaces n’est pas condamnable sans une intention spécifique de susciter la crainte!
12 ven, 2022
Il est de principe qu’une condamnation à une infraction criminelle nécessite la réunion d’un élément matériel (actus reus), l’acte infractionnel, ainsi que d’un élément moral (mens rea), l’intention criminelle. Pour la plupart des infractions, seule une intention générale est nécessaire, c’est-à-dire l’intention de commettre les actes. Cependant il est parfois requis que s’adjoigne une intention spécifique, et c’est le cas pour l’infraction de proférer des menaces de causer des lésions ou la mort prévue à l’art. 264.1 C.cr.
Les faits
L’accusé en la présente affaire a déclaré le 23 Juillet 2020 dans une publication facebook : « Les dirigeants nous déclarent la guerre!!! C pas compliquer Lui qui m’oblige au vaccin je le tue Point à ligne. » À la suite de cela, il fut accusé d’avoir proféré des menaces de causer la mort à l’encontre des dirigeants du gouvernement du Québec. Celui-ci a indiqué avoir agi sans intention de s’en prendre véritablement à quelqu’un et qu’il s’agissait de paroles partagées sous le coup de la colère. Le juge de première instance a condamné l’accusé en indiquant très brièvement dans son jugement que celui-ci avait l’intention de prononcer les paroles, et qu’il avait l’intention d’intimider.
Le jugement
En premier lieu, la Cour d’appel (ci-après « la Cour ») a annulé le verdict de culpabilité et a acquitté l’accusé en réaffirmant deux principes déjà bien établis dans la caractérisation de l’intention de menaces. Tout d’abord, elle rappelle l’exigence d’intention spécifique en matière de menaces. L’accusé ne doit pas seulement avoir l’intention de proférer les mots menaçants qui sont débattus mais ceux-ci doivent aussi avoir pour but d’intimider ou d’être pris au sérieux[1] . En d’autres termes, les paroles ou écrits proférés doivent revêtir une intention de susciter un sentiment de crainte chez le destinataire[2] . La Cour d’appel ajoute que le témoignage de l’accusé est déterminant pour analyser cette intention[3] . Subséquemment, la Cour indique, rappelant le précédent de l’arrêt R. c. McRae[4] , que le mobile, qu’on pourrait définir comme les raisons psychologiques qui ont mené l’accusé à commettre l’acte, n’est pas pris en compte dans l’analyse de l’intention[5]. De fait, le mobile et l’intention sont deux choses distinctes. En second lieu, l’enseignement qui nous est offert par cet arrêt est l’obligation qui incombe au juge de première instance d’analyser le témoignage de l’accusé quant à ses intentions réelles et d’expliquer les raisons qui le mènent à retenir ou écarter l’intention spécifique. En effet, afin de censurer la décision de première instance, le juge s’exprime en ces termes: « […] Encore faut-il que l’analyse quant à la question de la mens rea soit apparente. Le juge devait traiter du témoignage de l’appelant quant à ses intentions réelles et expliquer pourquoi il ne les retenait pas. »[6] Il est possible d’en conclure que la simple profération de paroles menaçantes, à défaut de l’intention qu’elles soient prises au sérieux, et même si exprimées sous le coup de la colère ou de la frustration[7] , ne suffit pas à justifier une condamnation pour menace de causer la mort. Cependant, il faut préciser que cet arrêt s’intéresse principalement au défaut de motivation du juge. Ainsi, il serait erroné de conclure que la présente décision encourage une forme de droit à l’expression de la colère. Plutôt, cet arrêt nous rappelle qu’un juge de première instance conserve le pouvoir d’apprécier le fardeau de preuve dont le ministère public doit se décharger pour démontrer la présence de l’intention spécifique inhérente à l’infraction de proférer des menaces prévue à l’art. 264.1 C.cr. En effet, la Cour d’appel n’hésite pas à rappeler que l’analyse de la crédibilité est l’apanage du juge de première instance[8] . Ceci étant, la Cour d’appel conclut qu’en l’absence d’explications de la part du juge de première instance justifiant pourquoi le témoignage de l’appelant aurait dû être écarté, il est difficile de comprendre comment il a pu conclure à la présence d’une intention spécifique. Ce faisant, la Cour d’appel estime qu’il est tout à fait plausible que l’accusé ait écrit ces paroles sous le coup de la colère et de la frustration, vu ses explications et les circonstances de l’affaires. Pour ces raisons, la Cour d’appel renverse le jugement de première instance pour prononcer l’acquittement de l’accusé.
Sources :
- R. c. McRae, 2013 CSC 68, par. 23., [« R. c. McRae » ]
- R. c. McCraw, [1991] 3 RCS 72
- Patoine c. R., 2022 QCCA 1517, par. 24.
- R. c. McRae, par. 40.
- Patoine c. R., par. 31
- Ibid, par. 29
- Ibid, par. 32
- Ibid, par. 29