La preuve de faits similaires

09 ven, 2022

Theus c. R., 2022 QCCA 290

La décision met de l’avant la règle de preuve de la conduite indigne et reprend les deux conditions d’admissibilité d’une telle preuve énoncée dans l’arrêt R. c. Handy :

« La preuve de faits similaires peut être admissible si, et seulement si, (1) elle tend à établir davantage qu’une propension générale et (2) si elle est plus probante que préjudiciable relativement à une question soulevée par le crime reproché »[1] .

Les faits

L’appelant se pourvoit à l’encontre d’un verdict de culpabilité prononcé le 27 mars 2019 par un jury présidé par l’honorable Daniel Royer de la Cour supérieure du Québec.

Le 2 juin 2016, M. D’Onofrio a été assassiné par arme à feu au Café Bar Hillside à Montréal. Celui-ci ressemblait physiquement à Antonio Vanelli, soit un individu relié au crime organisé italien. M. Vanelli s’était présenté au même café avant M. D’Onofrio et a laissé son véhicule non loin du café. Un individu a fait irruption dans le café avec un capuchon sur la tête en se dirigeant vers M. D’Onofrio, il le crible de six balles en le confondant avec M. Vanelli. L’individu déguerpit par la suite dans un véhicule de fuite.

Le 27 avril 2017, une conversation électronique est captée par des policiers à l’occasion d’une autre enquête policière d’envergure, soit le projet Mazout. Il s’agit d’un extrait d’une conversation entre l’appelant et un dénommé Elvis Comoe dans lequel l’appelant déclare :

« Tes fou toi G là Arrête là C’tun p’tit jeune là C’t’un p’tit jeune là G là Arrête là Y’était dans les couches là G là pis j’tirais du monde déjà Est-ce que tu comprends dawg? C’t’un p’tit con dawg’ Arrete là Osti d’pédé d’merde’ Y’est fou» [2].

L’identité du tireur étant au cœur du litige, un jury déclare l’appelant coupable de meurtre au premier degré, convaincu que celui-ci est le tireur.

Le jugement

L’appelant soulève trois moyens :

  • Le juge a erré en droit en omettant d’instruire le jury sur la possibilité d’un verdict d’homicide involontaire coupable par complicité;
  • Le juge a erré en droit en admettant une preuve de conduite indigne;
  • Le juge a erré en droit en admettant la preuve d’un lien entre lui et des individus à la conduite indigne ayant ultérieurement été trouvés en possession de l’arme du crime.

La Cour d’appel (ci-après « la Cour ») est d’avis que le deuxième moyen est bien fondé et ordonne la tenue d’un nouveau procès.

Selon l’appelant, le juge de première instance a erré en droit en admettant en preuve la déclaration extrajudiciaire captée sur écoute électronique. L’appelant soutient que sa déclaration est une preuve de conduite indigne, présumée inadmissible et que le juge aurait erré en droit dans la mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable de cette preuve et en omettant d’instruire le jury sur la non-fiabilité de l’aveu.

Le comportement postérieur à une infraction englobe tout ce qu’un accusé a dit ou fait après la perpétration de l’infraction. La preuve de ce comportement est admissible uniquement si elle est pertinente à l’égard d’une question importante en litige, si elle n’est visée par aucune autre règle d’exclusion en matière de preuve et si sa valeur probante l’emporte sur ses effets préjudiciables[3] .

Un comportement postérieur à l’infraction peut aussi constituer une preuve d’une conduite indigne sans rapport avec le crime rapproché. Dans ce cas, elle est visée par une règle d’exclusion comme l’énonce la Cour suprême : L’intimé a raison de plaider l’inadmissibilité de la preuve d’inconduite qui va au-delà de ce qui est allégué dans l’acte d’accusation et qui ne fait que ternir sa réputation. Un jury risque d’être embrouillé par la multiplicité des faits et ainsi accorder plus de poids qu’il est logiquement justifié de le faire.

Le juge de première instance a considéré que la déclaration de l’appelant pouvait constituer un aveu du meurtre et qu’il revenait au jury d’en décider. Le juge a estimé que la valeur probante de la déclaration est élevée et que le préjudice pourrait être contrôlé par une directive appropriée au jury, c’est-à-dire que le jury pouvait tenir compte de cette preuve seulement s’il concluait qu’elle a une valeur probante et que l’appelant parlait implicitement du meurtre. Par contre, dans le cas où le jury arriverait à la conclusion que la déclaration n’a pas de valeur probante, il s’agirait d’une preuve de mauvaise moralité que le jury devrait ignorer.

L’admission en preuve de la conduite indigne de l’accusé constitue une erreur de droit. La déclaration de l’appelant est une preuve de conduite indigne généralement inadmissible selon les principes énoncés dans R. c. Handy. Rien dans la preuve ne relie la déclaration au meurtre. Elle ne contient aucune référence directe ou indirecte aux circonstances du meurtre, par exemple la date, le lieu où l’identité de la victime.

Le jury a forcément fait une mauvaise utilisation de cette preuve puisqu’il a conclu que l’appelant parlait implicitement du meurtre. Il a fait des inférences qu’il ne pouvait pas tirer du seul fait que parce que l’appelant tirait du monde « déjà », il a tiré sur la victime et devait parler du meurtre.

En l’absence d’élément de preuves étayant le fait que l’appelant parlait du meurtre, cette déclaration ne fait qu’établir la propension de l’appelant à commettre des meurtres. Elle ne satisfait donc pas à la première condition pour être admissible.

La cour d’appel est d’avis que la seule façon pour le jury de conclure que l’appelant parlait implicitement du meurtre est la déclaration elle-même. Ce mode de raisonnement est contraire au droit et la cour ordonne donc un nouveau procès.

Sources :

  1. R. c. Handy., 2002 CSC 56, par. 71.
  2. Pièce P-90, Transcription de la conversation téléphonique du 27 avril 2017, p. 5, par. 103.
  3. heus, c. R., 2022 QCCA 290, par. 28

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