Demande d’exclusion de la preuve résultant d’une détention illégale sur une propriété privée
05 mar, 2023
Les faits
Dans cette affaire, les policiers, qui effectuaient une patrouille générale, ont suivi le VTT de l’accusé du stationnement d’un dépanneur jusque dans une entrée privée. Bien que les policiers aient eu l’intention de l’intercepter au moment où celui-ci se trouvait sur la voie publique, ceux-ci n’ont pas manifesté cette intention, notamment par le moyen des gyrophares, et ne l’ont intercepté que sur une propriété privée, soit dans l’entrée. L’accusé prétend qu’il a été détenu arbitrairement par la police et souhaite que les éléments de preuves obtenus soient exclus, ceux-ci étant susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice. Ces éléments de preuve comprenaient les observations du policier sur les signes d’affaiblissement des facultés, la déclaration de l’accusé à l’effet qu’il a « peut-être bu 10 » bières et les deux alcooltests faisant état d’une consommation notablement supérieure à la limite légale. En première instance[1], le juge Gareau a conclu que le Code de la route de l’Ontario autorisait légalement l’interception aléatoire de vérification de la sobriété et a déclaré l’accusé coupable. Après avoir accueilli l’appel, le juge de la Cour d’appel[2] a conclu que le Code de la route ne permettait pas à la police de procéder à des interceptions aléatoires de vérification de la sobriété sur une propriété privée sans motifs raisonnables. Il a statué que la police avait violé le droit garanti à l’article 9 de la Charte canadienne des droits et liberté (ci-après la « Charte »), a écarté les éléments de preuve en vertu de 24 (2) et a prononcé un acquittement.
Le jugement
En Cour suprême[3], le tribunal reconnaît que le Code de la sécurité routière ne confère pas à la police le pouvoir d’effectuer des interceptions aléatoires de vérification de la sobriété sur une propriété privée. En effet, la police ne pouvait procéder à une interception aléatoire de vérification de la sobriété au motif que le conducteur se trouvait sur la voie publique au moment où le policier a formé l’intention subjective de l’intercepter. La police devait communiquer au conducteur son intention d’effectuer une telle interception sur la voie publique, ce qui ne fut pas le cas en l’espèce : la police a attendu qu’il s’engage dans l’entrée privée avant de lui signaler son intention de l’intercepter. Or, l’interception étant illégale, la police a violé les droits garantis par l’article 9 de la Charte. Ensuite, le tribunal doit regarder si les éléments de preuve obtenus dans l’interception policière illégale sont susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice, de sorte qu’ils doivent être écartés, en application du paragraphe 24 (2) de la Charte. Pour déterminer si l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, il faut axer l’analyse sur le maintien à long terme de l’intégrité du système de justice et la confiance du public à son égard. Pour ce faire, la Cour doit se pencher sur trois facteurs ayant été déterminés dans l’arrêt Grant[4], à savoir la gravité de la conduite étatique attentatoire à la Charte, l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte, et l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. La mise en balance de ces facteurs est de nature qualitative. Concernant la gravité de la conduite, le tribunal considère qu’elle milite légèrement en faveur de l’exclusion de la preuve. Or, vu l’incertitude juridique existant à l’époque en matière d’interception aléatoire de vérification de la sobriété, la violation n’est pas grave au point d’exiger au tribunal de se dissocier des actes de la police, quoique les policiers, devant une telle incertitude, auraient dû agir avec plus de prudence. En ce qui a trait l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé, ceux-ci militent modérément en faveur de l’exclusion de la preuve. En effet, l’interception a eu une incidence sur la protection de sa liberté, parce que la police l’a interrogé dans le cadre d’une détention illégale, au terme de laquelle il a été arrêté et amené au poste de police, avant d’être détenu pendant plusieurs heures. Qui plus est, la police a obtenu une preuve appréciable lors de cette détention illégale, notamment deux alcooltests. La Cour fait également remarquer que la détention arbitraire a eu lieu sur une propriété privée. Ainsi, l’interception policière constituait une atteinte marquée, sans être des plus extrêmes. Quant à l’intérêt de la société, les éléments de preuve, soit les signes d’affaiblissements, la déclaration de l’accusé à l’effet qu’il a « peut-être bu 10 » bières et les deux alcooltests faisant état d’une consommation notablement supérieure à la limite légale, sont fiables et cruciaux pour la cause du ministère public. Eu égard à cette fiabilité et l’importance des éléments de preuve, ainsi qu’à la gravité de l’infraction reprochée, ce facteur milite fortement en faveur de l’inclusion. En effet, l’utilisation des éléments de preuve servirait mieux la fonction de recherche de la vérité que remplit le procès criminel et n’affaiblirait pas la considération à long terme portée au système judiciaire. La Cour effectue ensuite la mise en balance de ces facteurs. Le troisième facteur penche fortement en faveur de l’inclusion de la preuve et l’emporte sur le poids cumulatif des deux premières questions en raison de la nature cruciale et fiable des éléments de preuve ainsi que des importantes préoccupations d’ordre public en ce qui a trait au fléau de la conduite avec facultés affaiblies. Ainsi, la Cour conclut que les éléments de preuve ne doivent pas être écartés.