L’interprétation de l’exigence d’immédiateté de l’ordre de fournir un échantillon d’haleine
07 mer, 2023
Sous-titre
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- Citation de John Doe
R. c. Breault, 2023 CSC 9
Les faits
Dans cette affaire, les policiers sont informés par des patrouilleurs de sentiers forestiers qu’un individu conduit un véhicule tout terrain (« VTT ») en état d’ébriété. Les policiers arrivent sur les lieux et interpellent l’accusé. Constatant quelques symptômes, les policiers demandent sur les ondes radio qu’on leur apporte un appareil de détection approuvé (« ADA »), ces derniers n’en ayant pas en leur possession. Une fois la demande d’ADA effectuée, les policiers ordonnent à l’accusé de leur fournir immédiatement un échantillon d’haleine. Celui-ci refuse à trois reprises de fournir l’échantillon demandé. Il est mis en état d’arrestation pour avoir refusé d’obtempérer à l’ordre de fournir l’échantillon demandé, en contravention avec l’alinéa 254 (5) du Code criminel [1], que l’on retrouve désormais à l’article 320.27 du Code criminel. L’objet du débat concerne l’interprétation de l’exigence d’immédiateté contenue dans l’article 254 (2) b) du Code criminel. En première instance[2], le juge de la Cour municipale statue que la validité de l’ordre donné ne dépend pas de la présence d’un ADA sur les lieux de l’interception. Ce faisant, il déclare l’accusé coupable de l’infraction d’avoir refusé d’obtempérer à l’ordre donné. En appel[3], la décision est renversée et un jugement d’acquittement est prononcé. Selon la Cour d’appel, la validité de l’ordre est tributaire de la capacité du policier d’ordonner à un conducteur de fournir immédiatement un échantillon d’haleine, ce qui implique que l’agent de la paix doive avoir un accès immédiat à un ADA. Ainsi, en l’absence d’un tel appareil, l’ordre donné par le policier était invalide.
Le jugement
Dans le présent pourvoi, la Cour suprême se penche à son tour sur l’interprétation de l’exigence d’immédiateté. Plus précisément, le litige réside dans la question suivante : la validité de l’ordre requiert-elle que les policiers aient accès à un ADA à l’instant même où ils formulent cet ordre ? La Cour suprême arrive à la conclusion que l’ordre formulé par les policiers était invalide. Pour en arriver à une telle conclusion, la Cour suprême se penche d’abord sur le sens ordinaire et grammatical du mot « immédiatement », lequel renvoie aux expressions « à l’instant même », « tout de suite ». En effet, la constitutionnalité de cette exigence dépend d’une interprétation du mot « immédiatement » conforme à son sens ordinaire, car la présence de ce mot comprend une restriction implicite au droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’alinéa 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte »). En effet, comme le conducteur détenu doit fournir immédiatement un échantillon d’haleine, il ne peut consulter un avocat préalablement. Une telle restriction, qui met en tension la nécessité de préserver les droits constitutionnels garantis par la Charte et l’intérêt du public à éradiquer la menace que constitue la conduite en état d’ébriété, est justifiée et acceptable précisément en raison de la très courte durée de la détention. Ainsi, les tribunaux ne doivent pas indûment élargir le sens ordinaire strictement réservé au mot « immédiatement ». En effet, seule l’existence de circonstances inhabituelles peut justifier une souplesse de l’exigence d’immédiateté. Ainsi, des délais causés par des circonstances inhabituelles relatives à l’utilisation d’un appareil ou à la fiabilité du résultat, de même qu’à l’urgence d’assurer la sécurité du public ou celles des policiers, pourraient justifier une interprétation souple. Toutefois, le fardeau de démontrer l’existence de telles circonstances repose sur le ministère public. De plus, ces circonstances doivent préserver l’intégrité constitutionnelle de la disposition, en ayant à l’esprit le compromis qui en est à l’origine. Également, les circonstances inhabituelles ne peuvent être le résultat de considérations budgétaires ou d’efficacité pratique, puisque c’est le lot quotidien de tout gouvernement d’allouer des ressources budgétaires limitées. Finalement, l’absence d’un ADA sur les lieux au moment de la formulation de l’ordre ne constitue pas en soi une circonstance inhabituelle. Ainsi, un ordre formulé en vertu de l’article 320.27 (1) du Code criminel ne peut être présumé valide en l’absence d’un ADA sur les lieux de l’interception. Une personne ne peut engager sa responsabilité criminelle pour avoir refusé d’obéir à un ordre auquel il était concrètement impossible d’obéir en raison de l’absence d’ADA au moment de la formulation de l’ordre. Enfin, la validité de l’ordre ne peut être conditionnelle au délai de livraison de l’ADA à destination, car une telle approche placerait le conducteur devant une incertitude insoutenable. En effet, lorsqu’un conducteur détenu est appelé à répondre à un ordre lui intimant de fournir un échantillon d’haleine, il doit être en mesure de savoir si l’ordre est valide et si son refus engagera sa responsabilité criminelle. Dans un contexte où ce dernier n’a pas le bénéfice de l’assistance d’un avocat, on ne saurait attendre de lui qu’il accepte à l’avance d’obtempérer, puis qu’il sache ensuite déterminer à quel moment le délai de livraison de l’ADA justifie un refus. L’ordre étant invalide, le refus exprimé par l’accusé n’a pas engagé sa responsabilité criminelle, de sorte que le verdict d’acquittement doit être maintenu.