Délais déraisonnables selon Jordan, mais justifiables

05 ven, 2021

Par la présente décision, la Cour d’appel reprend les enseignements de l’arrêt R. c. J.F. afin d’établir si un délai déraisonnable selon Jordan peut être justifié par la mesure transitoire exceptionnelle. En soi, cette mesure reconnaît qu’il ne faut pas que tous les délais, qui étaient considérés raisonnables la journée précédant Jordan, deviennent automatiquement déraisonnables le lendemain.

« [L] e retard dans la présentation de la requête et les circonstances entourant celle-ci sont certes des éléments importants à considérer puisqu’ils peuvent contribuer à éclairer le tribunal sur l’objectif réellement poursuivi par celui ou celle qui la présente. Cependant, ils ne peuvent justifier, à eux seuls, la décision de rejeter sommairement la requête[1]»

Belle-Isle c. R. 2021 QCCA 600

Les faits

L’appelant, M. Belle-Isle, fut abordé alors qu’il était assis dans sa voiture à la sortie d’un bar, vers 3 h 35. À ce moment, le véhicule est stationné et M. Belle-Isle siège à la place du conducteur, le moteur, les phares et les feux sont allumés. Les policiers, constatant une odeur d’alcool, ordonnent à l’appelant de fournir un échantillon d’haleine dans l’appareil de détection d’alcool approuvé. Le résultat du test s’avère être « fail », ce faisant les policiers procèdent à l’arrestation de Monsieur. Au terme du premier procès, l’appelant est reconnu coupable d’avoir eu la garde ou le contrôle du véhicule alors que ses capacités étaient affaiblies par l’effet de l’alcool. Il porte cette décision en appel devant la Cour supérieure qui ordonne la tenue d’un nouveau procès. À l’ouverture de ce second procès, l’appelant présente une requête en arrêt des procédures pour délais déraisonnables qui se voit rejetée par la Cour municipale. L’appelant se pourvoit contre un jugement qui rejette la requête de type jordan et celui qui le déclare coupable. M. Belle-Isle avance que la juge de première instance a erré en droit en rejetant l’arrêt des procédures pour délais déraisonnables.

Le jugement

La Cour d’appel rejette l’appel.

La Cour d’appel (ci-après la « Cour ») doit reprendre l’analyse concernant les délais déraisonnables, étant donné que ni la juge de première instance ni la Cour supérieure n’a pu bénéficier des enseignements de l’arrêt R. c. J.F.[1] , il faut conclure à une erreur de droit. Selon les enseignements de Jordan[2], il faut d’abord déterminer le délai total, soit débutant, à la dénonciation jusqu’à la conclusion réelle ou anticipée de la présentation de la preuve et des plaidoiries. En l’occurrence, ce délai est de 1 581 jours, près de 52 mois. Par la suite, il faut déduire les délais imputables à la défense. Il en ressort que le délai net est d’environ 41 mois, ce qui est présumé déraisonnable selon le plafond établit par l’arrêt Jordan. La juge de première instance soustraite au délai net, une période de 17 mois qu’elle attribue à des circonstances exceptionnelles. La Cour fait preuve de déférence à l’égard de la juge de première instance concluant qu’aucune erreur justifiant son intervention n’a été démontrée. Conséquemment, un délai résiduaire de 24 mois demeure, perpétuant la présomption des délais déraisonnables.

Le ministère public invoque la mesure transitoire exceptionnelle puisqu’il s’agit d’une affaire ayant débuté avant l’arrêt Jordan et continuant à sa suite. À ce sujet, la Cour reprend les mots de la Cour suprême dans l’arrêt Cody : « il est permis au ministère public de démontrer qu’on ne peut lui reprocher de ne pas avoir pris de mesures additionnelles, étant donné que le délai lui apparaissait raisonnable eu égard à sa compréhension du droit avant Jordan. La Cour conclue que les parties se sont accommodés de la lenteur du cheminement de ce dossier, qui de plus est, ne leur apparaissaient pas déraisonnables selon le droit antérieur. La Cour conclut que la mesure transitoire exceptionnelle trouve application considérant le comportement des parties face à la situation. Elle ajoute que la présentation tardive de la requête en arrêt de procédure pour délais déraisonnables, présentée lors du nouveau procès par l’appelant, milite en faveur de l’application de cette mesure.

Source :

  1. Belle-Isle c. R. 2021 QCCA 600, para 54, citant R. c. Cody, [2017] 1. R.C.S. 659, para 24.
  2. R. c. Jordan, [2016] 1 R.C.S. 631

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