
Quand la Couronne allègue l’importation ou la possession d’une drogue illégale spécifique, elle a seulement besoin de démontrer que l’accusé savait qu’elle était en possession d’une drogue illégale dans un sens générique pour remplir le critère de la mens rea. Elle n’a pas le fardeau de démontrer la connaissance de la drogue particulière nommée dans le chef d’accusation
« Appliquée en matière de possession d’une drogue illégale, l’insouciance doit être comprise comme étant le fait pour un individu d’être conscient d’un risque d’être en possession d’une drogue illégale et de persister malgré ce risque. Pour autant que ce risque ne soit pas invraisemblable, négligeable ou minime, mais bien ‘injustifié et important’. [1] »
Narinesingh c R, 2021 QCCA 396
Les faits
Narinesingh est arrêtée à Pierre-Elliot Trudeau en possession de 7.6 kilogrammes d’héroïne dans ses valises. Au moment de son arrestation, Narinesingh collabore avec les policiers et fait plusieurs déclarations. Notamment, quand on la questionne au sujet de sa connaissance du contenu de ses valises, elle répond que « … I was thinking it’s either a device or has something to do with drugs ».
Le ministère public dépose un chef d’accusation d’importation de drogue et un de possession en vue de faire le trafic. Le ministère public spécifie que les accusations portent sur le trafic d’héroïne.
En première instance, Narinesingh donne un témoignage confus et incohérent, qui selon la Cour d’Appel a nui à sa crédibilité. Répondant aux questions des membres du jury, le juge de procès précise qu’ils doivent seulement trouver Narinesingh coupable s’ils sont convaincus que la Couronne a prouvé hors de tout doute raisonnable que Narinesingh avait une connaissance subjective de la présence d’héroïne, spécifiquement. Il autorise le jury à se fonder sur l’aveuglement volontaire ou l’insouciance pour prouver la connaissance subjective. Suivant ces instructions, le jury déclare Narinesingh coupable. Narinesingh interjette cette déclaration en appel..
Le jugement
La Cour d’Appel rejette l’appel et maintient le verdict de culpabilité.
D’abord, Narinesingh soutient que la déclaration du 9 décembre 2015 était inadmissible et que le juge de procès a eu tort de l’admettre. Elle dit qu’elle agissait sous crainte et que la police a utilisé ses craintes pour soutirer de l’information. La Cour rejette cet argument, jugeant que Narinesingh n’a pas réussi à prouver une erreur manifeste et déterminante dans les constats factuels du juge, le critère exigé pour autoriser une intervention de la Cour. Le juge de procès a bien considéré tous les éléments de preuve, ce qui l’a mené à une conclusion du caractère libre et volontaire de la déclaration.
L’appelante soulève aussi que le juge a erré en disant au jury qu’il fallait prononcer un verdict de culpabilité seulement si elle avait la connaissance de l’héroïne spécifiquement. De surcroît, Narinesingh allègue que le juge du procès n’avait pas donné des directives claires portant sur la connaissance de la nature de la drogue.. La Cour rappelle qu’il est incontestable que la poursuite doit prouver les détails portés à un chef d’accusation. Elle introduit la distinction entre l’élément matériel et l’élément de la mens rea et affirme que la drogue précise est pertinente pour l’élément matériel, mais qu’elle n’est pas nécessaire pour la mens rea. En effet, en se basant sur une analyse de la jurisprudence antérieure, la Cour conclut que seule la connaissance d’une drogue dans un sens générique est nécessaire le critère de mens rea.
En l’espèce, le juge de procès a erré puisqu’il a indiqué que la connaissance subjective de la présence de l’héroïne spécifiquement était nécessaire. Or, cette erreur était au bénéfice de l’accusée et même dans ces circonstances, elle a été trouvée coupable.
Finalement, Narinesingh allègue que le juge de procès a erré quand il a indiqué au jury que l’insouciance peut substituer la connaissance subjective pour prouver l’élément de mens rea. La Cour d’Appel reconnait qu’il semble y avoir des débats doctrinaux et jurisprudentiels quant à la distinction entre l’insouciance et l’aveuglement volontaire, si elle existe. La Cour d’Appel maintient cette distinction : alors que l’aveuglement volontaire serait le refus « de se renseigner davantage sur ce que contenaient les valises pour ainsi demeurer dans l’ignorance » (para 45), l’insouciance est plutôt la conscience « d’un risque d’être en possession d’une drogue illégale et de persister malgré ce risque » (para 55). En l’espèce, la preuve démontrait un aveuglement volontaire qui implique l’insouciance, et donc la connaissance subjective.
Sources:
↩1 | Narinesingh c R, 2021 QCCA 396, au para 55 |
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Publié le 30/04/2021