
La décision met en cause le moyen de défense de la légitime défense, plus précisément l’évaluation des deuxièmes et troisièmes conditions, soit l’état d’esprit ainsi que le caractère raisonnable de la réaction. En l’espèce, la conclusion de riposte dans un désir de vengeance se conjugue mal avec la soudaineté de l’attaque subie par l’appelant, qui semble plutôt avoir agit de manière impulsive. La juge a erré dans son analyse de l’état d’esprit de l’appelant (son motif) ce qui l’a conduit à annihiler la légitime défense.
« Il est intéressant de noter que, sur le plan conceptuel, la légitime défense n’est pas un moyen de défense « intentionnel » au sens du droit pénal. L’intention de la personne attaquée est d’agresser l’assaillant; sa motivation, de se protéger ou d’assurer sa survie. En d’autres termes, la légitime défense n’annule pas la mens rea de l’agression, mais permet plutôt à l’accusé d’échapper à la responsabilité criminelle parce que son mobile est acceptable[1][2]. » (notre soulignement)
Brunelle c. R., 2021 QCCA 783
Les faits
L’appelant se pourvoit à l’encontre d’un jugement de la Cour du Québec le déclarant coupable de voies de fait graves, de voies de fait armés et de possession d’une arme dans un dessein dangereux. Circulant sur l’autoroute, le véhicule de l’appelant percute la remorque du plaignant. Cet accident banale se transforme rapidement en une brève et violente altercation durant laquelle l’appelant après avoir reçu un coup de poing à la figure assène cinq coups de couteau au plaignant. La juge conclut que l’appelant a agi par vengeance. De plus, elle conclut qu’il n’a pas agis de manière raisonnable, l’utilisation du couteau était, plutôt, un acte dangereux et disproportionné dans les circonstances. L’appelant soutient que la juge de première instance a erré dans l’analyse des deuxièmes et troisièmes conditions de la légitime défense.
Le jugement
La Cour d’appel (ci-après « la Cour ») accueille l’appel et ordonne la tenue d’un nouveau procès.
Le moyen de défense de la légitime défense requiert la satisfaction de trois conditions soit : « 1) L’accusé croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre lui ou une autre personne, ou que on menace de l’employer (le déclencheur); 2) l’accusé commet l’acte dans le but de se défendre ou de se protéger, ou de défendre et de protéger une autre personne (le motif); et 3) l’accusé agit de façon raisonnable dans les circonstances (la réponse)[3]. »
La juge de première instance a, à bon droit, conclu que la première condition, soit la croyance que la force est employée, fût rencontrée. En effet, il est admis que l’appelant a été attaqué par le plaignant, ce qui a déclenché l’altercation. En ce qui a trait à la seconde condition, il faut déterminer si l’agissement de l’appelant fût dans le but de se défendre ou de se protéger. Pour ce faire, la Cour réitère que cette évaluation subjective doit prendre en compte le point de vue de l’accusé, et ce, en conjonction avec la réalité d’une personne étant attaquée ainsi qu’en considérant de toutes les circonstances de l’affaire. La juge de première instance a conclu que l’appelant n’a pas agit dans le but de se défendre, mais voulant plutôt riposter, motivé par un désir de vengeance. Or, la juge a erré en ne prenant pas en compte la soudaineté de la réponse, ni l’ensemble de la preuve. En effet, il s’agit d’une erreur de principe de décortiquer les agissements de l’accusé en faisant ressortir certains éléments de l’ensemble de la preuve et de lui exiger un standard de perfection dans l’évaluation de sa conduite. La Cour ajoute que la vengeance ne concorde pas avec la rapidité de l’attaque subie par l’appelant. La preuve tend à démontrer plutôt que ce dernier a agis de manière impulsive n’ayant pas analysé l’ampleur de ses actes. Ce faisant, la juge avançant que l’appelant aurait riposté par vengeance est une inférence inappropriée menant à une conclusion qualifiée d’erronée, voire de déraisonnable par la Cour. En outre, la juge de première instance aurait dû dans son évaluation de la preuve prendre en compte la gravité de l’attaque subie par l’appelant ainsi que sa condition physique, ce dernier étant dans la cinquantaine et éprouvant de sérieux problèmes cardiaques. La Cour mentionne qu’il ne faut pas confondre l’intention de la personne attaquée avec sa motivation. « L’intention de la personne attaquée est d’agresser l’assaillant; sa motivation, de se protéger ou d’assurer sa survie[4].» En commettant vraisemblablement cette erreur, la juge annihile la légitime défense, empêchant la personne attaquée de se défendre.
La troisième condition se rattachant au caractère raisonnable de la réaction de l’appelant à l’attaque subit ne doit pas être confondue avec la seconde condition. En effet, ce n’est qu’une fois qu’il est conclu que la conduite avait comme but la défense ou la protection, qu’il faut alors évaluer aux vues de l’ensemble de la preuve si cette conduite était raisonnable. En l’occurrence, l’erreur de principe concernant la seconde condition, soit l’état d’esprit de l’appelant, affecte fort probablement l’analyse du caractère raisonnable de ses agissement. Ce faisant, la tenue d’un nouveau procès est le seul remède possible.
Publié le 18/02/2022