
Lors de la détermination de la peine, il est possible pour les parties de proposer une suggestion commune au juge, tel qu’en l’espèce. Le juge se doit alors d’accepter cette suggestion, sauf si cette dernière est contraire à l’intérêt public et qu’elle discréditerait l’administration de la justice. Lorsque le juge éprouve des préoccupations ou des interrogations face à la suggestion, il peut exiger des parties des explications supplémentaires. Malgré la souplesse des règles lors de la détermination de la peine, il n’est pas permis au tribunal de mener sa propre recherche sans la présence des parties. En l’occurrence, le juge n’a pas fait part aux parties de ses préoccupations lié à la suggestion, ce faisant les parties n’ont pas eu l’opportunité d’y répondre.
« La perception qu’il y a eu une augmentation de la fréquence d’un crime ou l’impressionnant portrait d’une tendance de la criminalité doivent être testés par le système accusatoire. Comme le juge Binnie l’a expliqué dans l’affaire Spence, les parties doivent savoir d’où viennent les faits et comment elles vont les aborder. La source des faits doit leur être « présentée pour qu’elles puissent faire des commentaires et exprimer leur éventuel désaccord»[1] . » (notre traduction)
Baptiste c. R., 2021 QCCA 1064
Les faits
L’appelant se pourvoit contre la peine lui ayant été imposée à la suite de sa condamnation sur plusieurs chefs d’accusation liés à une possession illégale d’armes à feu. Lors de la détermination de la peine, les parties ont présenté au juge une suggestion commune totalisant 16 mois d’emprisonnement. Le juge de première instance a écarté cette suggestion et il a condamné M. Baptiste à une peine de 32 mois d’emprisonnement. Le juge de première instance soutient sa décision, notamment, par ses préoccupations liées aux crimes comportant l’usage d’armes à feu.
Les parties conviennent que le juge n’a jamais partagé ses préoccupations relatives à la suggestion commune. Elles ne s’attendaient pas à ce que le juge s’écarte de leur proposition et encore moins à ce qu’il double la peine d’emprisonnement de l’appelant. En outre, les parties soutiennent que le juge a mal interprété la nature des infractions commises, ce qui l’a mené à choisir à tort la fourchette de peines applicable dans les circonstances s’appuyant sur une conclusion de fait déraisonnable.
Le jugement
La Cour d’appel (ci-après « la Cour ») accepte la requête pour permission d’appeler de la peine, accueille l’appel et impose une peine d’emprisonnement de 16 mois conformément à la suggestion commune.
La Cour intervient pour plusieurs raisons. Le juge a omis d’aviser les parties de son intention de s’écarter de la proposition conjointe. Il a accordé une importance indue à la dissuasion et à la prévalence des infractions commises avec des armes à feu dans la région de Montréal sans preuve adéquate à l’appui et il a omis de tenir compte de l’effet cumulatif de certains facteurs atténuants à l’appui de la proposition conjointe. Ainsi, il a choisi la mauvaise fourchette de peines en se fondant sur une conclusion de fait déraisonnable. Il s’est, finalement, écarté d’une proposition conjointe qui n’était pas contraire à l’intérêt public et ne discréditait pas l’administration de la justice.
À l’appui de leurs conclusions, la Cour cite la récente décision Drapeau c. R.[2] qui reprend les règles particulières concernant le rôle du juge lors détermination de la peine. Le juge peut exiger la présentation des éléments de preuve supplémentaires ainsi que des renseignements utiles pouvant guider sa décision. Par contre, cela ne lui permet pas de mener sa propre enquête sans la présence des parties ou tenir compte d’éléments n’ayant pas été présentés lors de l’audience. Le juge a erré n’informant pas les parties de ses préoccupations ainsi qu’en procédant à une recherche sans les aviser. Ce faisant, il a empêché les parties de se prononcer sur les préoccupations ou de fournir les informations manquantes. D’ailleurs, la Cour note que la Couronne avait lors de l’évaluation de la suggestion commune pris en considération la prévalence des infractions liés aux armes à feu, étant à la base des préoccupations du juge. La Cour juge que la suggestion commune de 16 mois d’incarcération était une peine adéquate et proportionnée, qui ne discrédite pas l’administration de la justice et qui n’est pas contraire à l’intérêt public.
Publié le 15/04/2022