
Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême, 2021-04-29 (C.S. Can.) 39655
Conformément à la jurisprudence actuelle, une personne poursuivie par procédure sommaire pour une infraction hybride peut être enjointe à se soumettre aux mesures d’identification prévue par la Loi sur l’identification des criminels, ce type d’infraction étant considéré comme un acte criminel en vertu de l’article 34 de la Loi d’interprétation.
« [Les] dispositions du Code criminel portant sur l’identification des prévenus, elles visent un autre but, soit de réduire le nombre d’incarcérations et d’arrestations tout en permettant néanmoins l’application de la Loi sur l’identification ces criminels afin de répondre aux objectifs de cette loi précédemment décrits[1] . »
R. c. Lapointe, 2021 QCCA 360
Les faits
Le ministère public se pourvoi contre le jugement de la Cour supérieur accueillant la requête en certiorari des trois accusés ayant pour effet de casser les parties de la citation à comparaitre et de des sommations qui les obligeaient à se soumettre aux mesures d’identification prévues à la Loi sur l’identification des criminels (ci-après « la Loi »).
La juge de première instance conclu être liée par l’arrêt Dudley[2] en raison de la règle du précédent. De plus, elle affirme ne pas être liée par Lapointe[3], puisque, selon elle, son raisonnement est rejeté par l’arrêt Dudley. Ce faisant, elle refuse de faire une analyse téléologique des paragraphes 501(3) et 509(5) du Code criminel ainsi que de la Loi. Elle conclut qu’ayant opté pour la procédure sommaire, les juges de paix n’avaient pas le pouvoir de d’enjoindre les requérants à se soumettre aux mesures d’identification prévues à la Loi.
Le ministère se pourvoit en évoquant que la juge a erré en droit en s’affirmant lié par l’arrêt Dudley au nom du principe du stare decisis. De plus, la juge aurait erré en droit dans son interprétation de la Loi sur l’identification des criminels.
Le jugement
La Cour d’appel (ci-après « la Cour ») accueille l’appel, infirme le jugement de la Cour supérieure et rejette les requêtes en certiorari.
La juge de première instance a erré en droit en refusant de suivre l’arrêt Lapointe, pour se référer à l’arrêt Dudley, au nom du principe du stare decisis. La règle du stare decisis vertical oblige un tribunal à suivre la ratio decidendi[4] d’un tribunal d’une juridiction supérieure. En l’espèce, la juge n’était pas liée par l’arrêt Dudley, puisque l’application de la Loi n’était pas en cause dans cette affaire. Elle était plutôt liée par l’arrêt Lapointe portant précisément sur la question dont elle était saisie.
Quant au stare decisis horizontal[5], la Cour adopte une approche flexible. Au Québec, il est possible d’écarter un précédent antérieur, lorsqu’au vu des circonstances, il est de mise de retenir une solution différente. L’écart d’un précédent consiste, toute fois, une exception, devant être utilisée lorsque des motifs impérieux le justifient. En l’occurrence, la Cour conclut qu’il n’y avait pas lieu d’écarter l’arrêt Lapointe.
Depuis l’arrêt Lapointe, il est établi que l’expression « acte criminel », dans la Loi, comprend les infractions hybrides poursuivis par procédure sommaire jusqu’à ce que la poursuite fasse un choix final. Cette interprétation est conforme à l’article 34 de la Loi d’interprétation et s’harmonise au contexte particulier du Québec, dans lequel le choix de la poursuite par voie sommaire s’exerce dès le début de la procédure d’inculpation. En outre, cette interprétation permet une uniformité avec les autres provinces canadiennes. L’interprétation contraire mènerait à une conséquence inusitée puisque deux individus arrêtés pour la même infraction et poursuivi par voie sommaire seraient traités différemment du fait que la poursuite n’est pas engagée dans la même province. Par ailleurs, cela aurait pour effet de prioriser la mise en accusation et l’incarcération des prévenus dans le but de permettre d’enjoindre ces derniers aux mesures d’identification prévu par la Loi, ce qui serait contraire à l’objectif de favoriser la remise en liberté et la poursuite par voie sommaire du Code criminel.
Sources:
↩1 | R. c. Lapointe, 2021 QCCA 360, au para |
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↩2 | R. c. Dudley, [2009] 3 R.C.S. 570 |
↩3 | Lapointe c. Lacroix, [1981] C.A. 497 |
↩4 | ratio decidendi : Dans le système de la common law, le terme ratio decidendi, signifiant littéralement la raison de la décision, se dit en droit judiciaire du motif essentiel ou des motifs déterminants d’une décision de justice, de son fondement même, de sa substance, de son fond. Tout motif qui tranche le point litigieux d’une instance constitue la ratio decidendi de la décision ou en fait partie. <https://www.btb.termiumplus.gc.ca/tpv2guides/guides/juridi/index-fra.html?lang=fra&lettr=indx_catlog_r&page=9YBMG08xQin4.html> |
↩5 | R. c. Lapointe, 2021 QCCA 360, au para 49 et ss :« [L]e stare decisis vertical porte sur l’application du précédent jurisprudentiel par les membres du même tribunal. […] Les cours d’appel canadiennes, y compris la Cour suprême du Canada, ont établi de façon générale que leurs décisions antérieurs doivent être suivies, sauf exception. » |
Publié le 22/05/2022