La légitime défense

 

La décision met de l’avant le moyen de défense de la légitime défense et reprend l’analyse détaillée des critères d’application de la légitime défense rendue le 14 octobre 2021, dans l’arrêt R. c. Khill:

« En matière de légitime défense, l’accusé n’a qu’un fardeau de présentation, c’est-à-dire qu’il doit satisfaire au critère de vraisemblance de sa défense pour que le juge ou le jury puisse la considérer. Une fois la vraisemblance établie, il revient alors au ministère public de prouver, hors de tout doute raisonnable, qu’au moins un critère de la légitime défense n’est pas satisfait[1] ».

Robitaille Drouin c. R., 2022 QCCA 233

 

Les faits

L’appelant se pourvoit à l’encontre d’un jugement de la Cour du Québec (2019 QCCQ 3126) lequel le déclare coupable d’une accusation de voies de fait graves. M. Robitaille Drouin agit comme portier dans un Cabaret de danseuses érotiques (« Cabaret »). Le plaignant et une de ses collègues qui l’accompagne sont fortement intoxiqués et ont des comportements perturbateurs, ce qui pousse l’appelant à inviter ces derniers à quitter l’établissement. Le plaignant fait une fois de plus obstruction au travail de l’appelant et le menace. Une altercation s’ensuit et l’appelant tente d’expulser le plaignant, mais celui-ci résiste fermement. Le plaignant agrippe l’appelant au haut du corps, près du cou et, alors que ce dernier tente de se dégager, il porte un rapide coup droit au visage du plaignant qui s’effondre sur le sol, inconscient. Le plaignant passe quatre ou cinq mois dans un coma en raison d’un grave traumatisme crânien.

 

Le jugement

La Cour d’appel (ci-après « la Cour ») accueille l’appel et ordonne la tenue d’un nouveau procès.

Selon l’appelant, le juge de première instance commet une erreur de droit en appliquant de manière rigide les critères de la légitime défense prévue à l’article 34 du Code criminel sans en évaluer le contexte global. Le moyen de défense requiert que trois conditions cumulatives soient satisfaites : « (1) le catalyseur – la personne accusée doit croire raisonnablement qu’on emploie ou qu’on menace d’employer la force contre elle ou quelqu’un d’autre; (2) le mobile – le but subjectif de la réaction à la menace doit être de se protéger soi-même ou de protéger autrui; et (3) la réaction – la personne accusée doit agir de façon raisonnable dans les circonstances[2]».
Dans cette affaire, l’appelant a appliqué une série de mesures dans l’exercice de ses fonctions de portier, en tentant de neutraliser les comportements perturbateurs de deux clients intoxiqués, selon une gradation qui, selon la Cour, paraît proportionnelle à l’augmentation de l’agressivité du plaignant. En effet, l’appelant a verbalement demandé aux clients de quitter l’établissement, il l’a ensuite poussé en raison de son comportement menaçant pour assurer sa sécurité, suivi d’une première expulsion alors que le plaignant venait de menacer l’appelant de mort; puis d’une deuxième expulsion après que le plaignant s’en prit physiquement à lui en le saisissant au cou.

La Cour d’appel réitère que l’analyse de la raisonnabilité de l’emploi de la force doit être souple et contextuelle. En tenant compte des facteurs énumérés à l’article 34(2) du Code criminel liés à la situation personnelle et au rôle joué par chacun, l’analyse doit être objective, en ce sens qu’elle doit mettre l’accent sur ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans des circonstances semblables.

L’appelant, de par son rôle de portier, était responsable de maintenir l’ordre au sein du Cabaret et d’assurer la sécurité des employés et des clients. Cette fonction s’assimile à un « rôle pro social » dont l’exercice peut avoir un impact sur l’application de la légitime défense. Ce faisant, la personne accusée qui a joué un rôle pro social lors de l’événement augmentera ses chances d’excuser son geste aux yeux de la société[3]. Ainsi, la Cour d’appel conclut que le juge de première instance ne tient pas adéquatement compte de la nature des fonctions et des responsabilités de l’appelant dans sa globalité. Cette erreur se répercute sur l’analyse du but subjectif de l’appelant de se défendre. Le juge s’est concentré sur les derniers évènements survenus à l’extérieur de l’établissement alors que le contexte dans lequel l’appelant a posé ses gestes se devait d’être considéré dans l’évaluation de la légitime défense.

Bien qu’il y ait eu des conséquences graves aux gestes posés, c’est la force employée par l’accusé qui doit être raisonnable et non pas les conséquences qui en découlent. Il faut donc éviter d’évaluer la raisonnabilité de la force employée par l’accusé de manière non contextualisée, en se fondant uniquement sur la gravité des blessures qui ont été occasionnées au plaignant. Ce défaut constitue une erreur de droit.

De l’avis de la Cour, le juge de première instance n’a pas adéquatement tenu compte de ces considérations sur l’évaluation de la légitime défense. Il existe donc une possibilité que le verdict ait pu être différent si ces erreurs n’avaient pas été commises. De plus, la Cour d’appel mentionne que si la conclusion du juge suggère un inversement du fardeau de preuve, cela constituerait une erreur de droit. La Cour ordonne donc un nouveau procès.

Sources:
Sources:
1 Robitaille Drouin c. R., 2022 QCCA 233, par. 38.
2 R. c. Khill, 2021 CSC 37, par. 37,44 et 51., dans Robitaille Drouin c. R., 2022 QCCA 233, par. 16.
3 R. c. Khill, 2021 CSC 37, par. 105., dans Robitaille Drouin c. R., 2022 QCCA 233, par. 29.

Publié le 3/06/2022