Les mythes et stéréotypes à l’endroit des personnes toxicomanes constituent une erreur de droit
ROY C. R 2022 QCCS 436
La décision Roy c. R., traite de mythes et de stéréotypes à l’égard des personnes toxicomanes.
En voici quelques exemples :
• Un juge ne peut pas affirmer que toutes les personnes qui ont résolu leur problème de consommation se souviennent exactement du moment où ils ont cessé de consommer.
• Un juge ne peut pas faire une inférence entre le fait qu’une personne à de la difficulté à s’exprimer devant la cour et le fait que celle-ci consommerait toujours de la drogue ou de l’alcool.
Les faits
L’appelant qui avait été condamné à une probation d’un an assortie de 40 heures de travaux communautaires a porté appel de cette décision en invoquant qu’une absolution conditionnelle aurait dû lui être accordée.
Suite à un procès devant le juge Gaëtan Plouffe de la Cour municipale de Montréal, l’appelant a été trouvé coupable d’avoir commis des voies de fait armées et des voies de fait simples à l’endroit de deux intervenantes sociales qui travaillaient au Centre d’hébergement où il résidait.
Sur sentence, un rapport présentenciel ainsi que deux lettres attestant que l’appelant a suivi une thérapie au centre l’Ancrage de l’Armée du Salut ont été déposés en preuve.
Le jugement
La juge Myriam Lachance de la Cour supérieure accueille l’appel et substitue une absolution conditionnelle assortie d’une probation de deux ans et de 40 heures de travaux communautaires.
Dans les arrêts Friesen[1] et Lacasse[2] , la Cour suprême a établi qu’une cour d’appel peut intervenir afin de modifier la peine imposée en première instance seulement (1) si la peine n’est manifestement pas indiquée, ou (2) le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine.
Dans un premier temps, la juge Lachance conclut que le juge de première instance a fait appel à des mythes et stéréotypes lorsqu’il remet en question l’abstinence de l’appelant et le sérieux de ses démarches thérapeutiques aux motifs qu’il ne se souvient pas de la date de sa dernière consommation et qu’il semble avoir de la difficulté à s’exprimer devant la Cour.
Dans un second temps, la juge énonce que l’erreur de droit a eu une incidence sur la détermination de la peine puisque les commentaires du juge de première instance portaient directement sur la crédibilité de l’appelant, la sincérité de ses démarches et le sérieux de ses efforts. De plus, elle souligne que le premier juge commet une autre erreur lorsqu’il mentionne que l’appelant semble encore avoir des problèmes de toxicomanie et qu’il a échoué deux thérapies, puisque ces inférences ne ressortent pas de la preuve. Or, il appert de la preuve que l’appelant a plutôt bien entamé son processus de réhabilitation. Elle ajoute que le fait d’omettre de considérer à titre de facteur atténuant la situation vulnérable et marginalisée de l’appelant qui était sans domicile et aux prises avec des problèmes de consommation constitue également une erreur de principe. Considérant les erreurs commises par le juge de première instance, elle conclut qu’elle peut effectuer sa propre analyse pour fixer la peine juste, et ce, sans faire preuve de déférence.
Dans un dernier temps, après avoir constaté le progrès et les démarches de réhabilitation de l’appelant, la juge estime que ce dernier rencontre le critère de l’intérêt véritable. Enfin, elle conclut que l’octroi d’une absolution conditionnelle n’est pas contraire à l’intérêt public, et ce même si l’appelant avait déjà bénéficié d’une absolution par le passé.
Le calcul des délais Jordan lors d’un nouveau procès
R. c. J.F., 2022 CSC 17
Les faits
Au terme de six ans de procédures, l’accusé est acquitté de sept chefs d’accusation de nature sexuelle par le juge de première instance. Alors que le juge de première instance est en délibéré, la Cour suprême rend l’arrêt R. c. Jordan[1]. Le jugement de première instance est ensuite cassé par la Cour d’appel du Québec et un nouveau procès est ordonné. Avant la tenue du second procès, la défense dépose une requête Jordan et demande l’arrêt des procédures en vertu de l’article 11b) de la Charte. L’accusé prétend qu’il faut mettre un terme aux procédures en raison du délai raisonnable et inclus dans son calcul les délais du premier et du second procès. La Cour du Québec et la Cour d’appel du Québec donne raison à l’accusé.
Les questions en litige sont les suivantes :
1. L’accusé peut-il, après que le juge ait ordonné un nouveau procès, déposer une requête Jordan en invoquant les délais du premier procès?
2. Les plafonds établis dans l’arrêt Jordan s’appliquent-ils aux délais liés au deuxième procès?
Le jugement
Le pourvoi du ministère public est accueilli.
Le cadre d’analyse de l’arrêt Jordan s’applique au second procès. Cependant, si la requête Jordan est présentée à la suite de l’ordonnance d’un nouveau procès, seuls les délais en lien avec le second procès seront considérés, sauf dans certaines circonstances exceptionnelles.
Une requête déposée lors du second procès fondée sur les délais déraisonnables du premier procès est jugée tardive. En effet, bien que le silence ou le défaut d’agir n’équivaut pas à une renonciation claire de l’accusé à contester les délais, les parties ont un devoir de présenter leurs requêtes en temps utile et le défaut d’agir ainsi nuit à la saine administration de la justice. La Cour suprême décide donc que la computation de délais recommence à la suite de l’ordonnance d’un nouveau procès.
Les délais du second procès sont néanmoins visés par l’arrêt Jordan. La Cour suprême n’adopte pas de plafonds différents pour les deuxièmes procès. C’est donc le plafond de 18 mois qui s’applique pour les affaires entendues devant une cour provinciale et le plafond de 30 mois qui s’applique pour les affaires entendues par une cour provinciale au terme d’une enquête préliminaire ou devant une cour supérieure. Cependant, la Cour suprême propose deux critères à tenir en considération lors de l’analyse des délais d’un deuxième procès. La tenue d’un deuxième procès doit être priorisée et les délais doivent généralement être plus courts que ceux du premier procès. Ainsi, l’absence d’empressement de la part des parties à tenir un second procès peut militer en faveur d’un arrêt des procédures.
Dans le cadre de la présente affaire, la Cour suprême juge que l’accusé a agi tardivement et que sa requête en arrêt des procédures n’a pas été déposée en temps utile. La requête ayant seulement été déposée à la suite de l’ordonnance de la tenue d’un nouveau procès, seuls les délais du second procès peuvent être comptabilisés. Les délais du second procès étant de 10 mois et 5 jours et donc bien en-deçà du plafond de 30 mois, la Cour suprême juge que le dossier été priorisé et rejette la requête en arrêt des procédures.
La juge Côté, dissidente, est en en accord avec le cadre d’analyse proposé par les juges majoritaires. Cependant, puisque le procès était terminé et l’affaire était en délibéré lorsque la Cour suprême a rendu l’arrêt Jordan, il s’agit d’un cas d’exception qui justifie que les délais du premier procès soient comptés. Selon la juge Côté, le dossier a débuté sous l’ère de la décision R. c. Morin[2] et la mesure transitoire exceptionnelle doit s’appliquer. Ainsi, le pourvoi aurait dû être rejeté et l’arrêt des procédures, confirmé.
Sources:[+]
↩1 | R. c. Jordan, 2016 CSC 27, https://canlii.ca/t/gsds4 |
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↩2 | R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771, https://canlii.ca/t/1fsc7 |
La conduite dangereuse
Tremblay c. R., 2022 QCCA 677
Les faits
L’appelant se pourvoit contre le verdict de la Cour du Québec le reconnaissant coupable de l’infraction de conduite dangereuse causant des lésions corporelles. Le 22 août 2017, à l’approche d’un carrefour giratoire, le véhicule de l’appelant, soit un camion lourd comprenant une remorque de 125 000 livres, heurte le pare-chocs de l’automobile de l’appelant, soit une Honda Civic, la poussant ainsi sur une distance de quelques dizaines de mètres. À la suite de l’accident, la plaignante et l’appelant se rendent dans un garage et la police est appelée sur les lieux. La juge de première instance conclut que la conduite dangereuse de l’appelant est volontaire et constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait respectée. Celui-ci rejette également le témoignage de l’appelant étant donné que ce dernier serait contradictoire. L’appelant soutient que le juge de première instance a erré en droit en prononçant un verdict déraisonnable à son égard, et ce, au sens de l’article 686(1)a)i) C.cr.
Le jugement
La Cour d’appel du Québec accueille l’appel et infirme la décision du juge de première instance concernant la culpabilité de l’appelant. L’acquittement de l’appelant est ordonné.
Pour analyser si un verdict est raisonnable, il suffit de déterminer « s’il s’agit d’un verdict qu’un jury ayant reçu des directives appropriées ou un juge aurait pu raisonnablement rendre »[1] . De surcroit, il est possible de conclure qu’une décision est déraisonnable si une inférence est tirée ou une conclusion est prononcée alors que celles-ci sont contredites ou incompatibles avec la preuve administrée ou encore si celles-ci sont fondées sur un raisonnement illogique ou irrationnel.
En l’espèce, la Cour d’appel est d’avis qu’en aucun cas la preuve administrée ne peut soutenir la conclusion du juge de première instance concernant la conduite délibérée de l’appelant. En effet, cette conclusion se fonde sur des inférences et des déterminations factuelles qui ne peuvent être appuyées par la preuve. Premièrement, la caméra d’une station-service a capté l’accrochage entre l’appelant et la plaignante. Contrairement à ce que le juge de première instance soulève, ladite vidéo ne démontre aucune preuve d’impatience, d’agressivité ou encore de colère de la part de l’appelant. Le visionnement de celle-ci permet plutôt de constater que l’appelant gardait une distance raisonnable avec l’automobile de la plaignante. Ensuite, le juge de première instance s’appuie sur le fait que l’appelant, étant un travailleur de la route, était particulièrement pressé et nerveux lors de l’incident. Encore une fois, aucun élément de preuve ne permet d’appuyer cette inférence tirée par le juge. De plus, le juge de première instance a rejeté le témoignage de l’appelant prétendant qu’il était contradictoire, alors que la preuve permet de conclure que celui-ci est compatible avec la version de tous les autres témoins de la scène.
Même si la conduite aurait été considérée comme volontaire et délibéré, il ne s’agissait pas en l’espèce d’une conduite dangereuse, mais plutôt d’un risque inhérent à la conduite automobile. En effet, la manœuvre de l’appelant, bien qu’elle puisse sembler imprudente et, à première vue, dangereuse, elle ne constitue pas un écart marqué avec la norme de diligence. La preuve de la poursuite ne permet donc pas de démontrer qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait été consciente de ce risque et aurait pris des mesures pour l’éviter.
Bref, les éléments de preuve administrés dans le dossier ne permettent pas « à un juge des faits ayant reçu des directives appropriées de prononcer une déclaration de culpabilité »[2] . Il est donc possible de conclure à un verdict déraisonnable, l’acquittement de l’appelant devant donc être prononcé.
La légitime défense
La décision met de l’avant le moyen de défense de la légitime défense et reprend l’analyse détaillée des critères d’application de la légitime défense rendue le 14 octobre 2021, dans l’arrêt R. c. Khill:
« En matière de légitime défense, l’accusé n’a qu’un fardeau de présentation, c’est-à-dire qu’il doit satisfaire au critère de vraisemblance de sa défense pour que le juge ou le jury puisse la considérer. Une fois la vraisemblance établie, il revient alors au ministère public de prouver, hors de tout doute raisonnable, qu’au moins un critère de la légitime défense n’est pas satisfait[1] ».
Robitaille Drouin c. R., 2022 QCCA 233
Les faits
L’appelant se pourvoit à l’encontre d’un jugement de la Cour du Québec (2019 QCCQ 3126) lequel le déclare coupable d’une accusation de voies de fait graves. M. Robitaille Drouin agit comme portier dans un Cabaret de danseuses érotiques (« Cabaret »). Le plaignant et une de ses collègues qui l’accompagne sont fortement intoxiqués et ont des comportements perturbateurs, ce qui pousse l’appelant à inviter ces derniers à quitter l’établissement. Le plaignant fait une fois de plus obstruction au travail de l’appelant et le menace. Une altercation s’ensuit et l’appelant tente d’expulser le plaignant, mais celui-ci résiste fermement. Le plaignant agrippe l’appelant au haut du corps, près du cou et, alors que ce dernier tente de se dégager, il porte un rapide coup droit au visage du plaignant qui s’effondre sur le sol, inconscient. Le plaignant passe quatre ou cinq mois dans un coma en raison d’un grave traumatisme crânien.
Le jugement
La Cour d’appel (ci-après « la Cour ») accueille l’appel et ordonne la tenue d’un nouveau procès.
Selon l’appelant, le juge de première instance commet une erreur de droit en appliquant de manière rigide les critères de la légitime défense prévue à l’article 34 du Code criminel sans en évaluer le contexte global. Le moyen de défense requiert que trois conditions cumulatives soient satisfaites : « (1) le catalyseur – la personne accusée doit croire raisonnablement qu’on emploie ou qu’on menace d’employer la force contre elle ou quelqu’un d’autre; (2) le mobile – le but subjectif de la réaction à la menace doit être de se protéger soi-même ou de protéger autrui; et (3) la réaction – la personne accusée doit agir de façon raisonnable dans les circonstances[2]».
Dans cette affaire, l’appelant a appliqué une série de mesures dans l’exercice de ses fonctions de portier, en tentant de neutraliser les comportements perturbateurs de deux clients intoxiqués, selon une gradation qui, selon la Cour, paraît proportionnelle à l’augmentation de l’agressivité du plaignant. En effet, l’appelant a verbalement demandé aux clients de quitter l’établissement, il l’a ensuite poussé en raison de son comportement menaçant pour assurer sa sécurité, suivi d’une première expulsion alors que le plaignant venait de menacer l’appelant de mort; puis d’une deuxième expulsion après que le plaignant s’en prit physiquement à lui en le saisissant au cou.
La Cour d’appel réitère que l’analyse de la raisonnabilité de l’emploi de la force doit être souple et contextuelle. En tenant compte des facteurs énumérés à l’article 34(2) du Code criminel liés à la situation personnelle et au rôle joué par chacun, l’analyse doit être objective, en ce sens qu’elle doit mettre l’accent sur ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans des circonstances semblables.
L’appelant, de par son rôle de portier, était responsable de maintenir l’ordre au sein du Cabaret et d’assurer la sécurité des employés et des clients. Cette fonction s’assimile à un « rôle pro social » dont l’exercice peut avoir un impact sur l’application de la légitime défense. Ce faisant, la personne accusée qui a joué un rôle pro social lors de l’événement augmentera ses chances d’excuser son geste aux yeux de la société[3]. Ainsi, la Cour d’appel conclut que le juge de première instance ne tient pas adéquatement compte de la nature des fonctions et des responsabilités de l’appelant dans sa globalité. Cette erreur se répercute sur l’analyse du but subjectif de l’appelant de se défendre. Le juge s’est concentré sur les derniers évènements survenus à l’extérieur de l’établissement alors que le contexte dans lequel l’appelant a posé ses gestes se devait d’être considéré dans l’évaluation de la légitime défense.
Bien qu’il y ait eu des conséquences graves aux gestes posés, c’est la force employée par l’accusé qui doit être raisonnable et non pas les conséquences qui en découlent. Il faut donc éviter d’évaluer la raisonnabilité de la force employée par l’accusé de manière non contextualisée, en se fondant uniquement sur la gravité des blessures qui ont été occasionnées au plaignant. Ce défaut constitue une erreur de droit.
De l’avis de la Cour, le juge de première instance n’a pas adéquatement tenu compte de ces considérations sur l’évaluation de la légitime défense. Il existe donc une possibilité que le verdict ait pu être différent si ces erreurs n’avaient pas été commises. De plus, la Cour d’appel mentionne que si la conclusion du juge suggère un inversement du fardeau de preuve, cela constituerait une erreur de droit. La Cour ordonne donc un nouveau procès.