Demande d’exclusion de la preuve résultant d’une détention illégale sur une propriété privée
R. c. McColman, 2023 CSC 8
Les faits
Dans cette affaire, les policiers, qui effectuaient une patrouille générale, ont suivi le VTT de l’accusé du stationnement d’un dépanneur jusque dans une entrée privée. Bien que les policiers aient eu l’intention de l’intercepter au moment où celui-ci se trouvait sur la voie publique, ceux-ci n’ont pas manifesté cette intention, notamment par le moyen des gyrophares, et ne l’ont intercepté que sur une propriété privée, soit dans l’entrée.
L’accusé prétend qu’il a été détenu arbitrairement par la police et souhaite que les éléments de preuves obtenus soient exclus, ceux-ci étant susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice. Ces éléments de preuve comprenaient les observations du policier sur les signes d’affaiblissement des facultés, la déclaration de l’accusé à l’effet qu’il a « peut-être bu 10 » bières et les deux alcooltests faisant état d’une consommation notablement supérieure à la limite légale.
En première instance[1], le juge Gareau a conclu que le Code de la route de l’Ontario autorisait légalement l’interception aléatoire de vérification de la sobriété et a déclaré l’accusé coupable. Après avoir accueilli l’appel, le juge de la Cour d’appel[2] a conclu que le Code de la route ne permettait pas à la police de procéder à des interceptions aléatoires de vérification de la sobriété sur une propriété privée sans motifs raisonnables. Il a statué que la police avait violé le droit garanti à l’article 9 de la Charte canadienne des droits et liberté (ci-après la « Charte »), a écarté les éléments de preuve en vertu de 24 (2) et a prononcé un acquittement.
Le jugement
En Cour suprême[3], le tribunal reconnaît que le Code de la sécurité routière ne confère pas à la police le pouvoir d’effectuer des interceptions aléatoires de vérification de la sobriété sur une propriété privée. En effet, la police ne pouvait procéder à une interception aléatoire de vérification de la sobriété au motif que le conducteur se trouvait sur la voie publique au moment où le policier a formé l’intention subjective de l’intercepter. La police devait communiquer au conducteur son intention d’effectuer une telle interception sur la voie publique, ce qui ne fut pas le cas en l’espèce : la police a attendu qu’il s’engage dans l’entrée privée avant de lui signaler son intention de l’intercepter. Or, l’interception étant illégale, la police a violé les droits garantis par l’article 9 de la Charte.
Ensuite, le tribunal doit regarder si les éléments de preuve obtenus dans l’interception policière illégale sont susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice, de sorte qu’ils doivent être écartés, en application du paragraphe 24 (2) de la Charte.
Pour déterminer si l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, il faut axer l’analyse sur le maintien à long terme de l’intégrité du système de justice et la confiance du public à son égard. Pour ce faire, la Cour doit se pencher sur trois facteurs ayant été déterminés dans l’arrêt Grant[4], à savoir la gravité de la conduite étatique attentatoire à la Charte, l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte, et l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. La mise en balance de ces facteurs est de nature qualitative.
Concernant la gravité de la conduite, le tribunal considère qu’elle milite légèrement en faveur de l’exclusion de la preuve. Or, vu l’incertitude juridique existant à l’époque en matière d’interception aléatoire de vérification de la sobriété, la violation n’est pas grave au point d’exiger au tribunal de se dissocier des actes de la police, quoique les policiers, devant une telle incertitude, auraient dû agir avec plus de prudence.
En ce qui a trait l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé, ceux-ci militent modérément en faveur de l’exclusion de la preuve. En effet, l’interception a eu une incidence sur la protection de sa liberté, parce que la police l’a interrogé dans le cadre d’une détention illégale, au terme de laquelle il a été arrêté et amené au poste de police, avant d’être détenu pendant plusieurs heures. Qui plus est, la police a obtenu une preuve appréciable lors de cette détention illégale, notamment deux alcooltests. La Cour fait également remarquer que la détention arbitraire a eu lieu sur une propriété privée. Ainsi, l’interception policière constituait une atteinte marquée, sans être des plus extrêmes.
Quant à l’intérêt de la société, les éléments de preuve, soit les signes d’affaiblissements, la déclaration de l’accusé à l’effet qu’il a « peut-être bu 10 » bières et les deux alcooltests faisant état d’une consommation notablement supérieure à la limite légale, sont fiables et cruciaux pour la cause du ministère public. Eu égard à cette fiabilité et l’importance des éléments de preuve, ainsi qu’à la gravité de l’infraction reprochée, ce facteur milite fortement en faveur de l’inclusion. En effet, l’utilisation des éléments de preuve servirait mieux la fonction de recherche de la vérité que remplit le procès criminel et n’affaiblirait pas la considération à long terme portée au système judiciaire.
La Cour effectue ensuite la mise en balance de ces facteurs. Le troisième facteur penche fortement en faveur de l’inclusion de la preuve et l’emporte sur le poids cumulatif des deux premières questions en raison de la nature cruciale et fiable des éléments de preuve ainsi que des importantes préoccupations d’ordre public en ce qui a trait au fléau de la conduite avec facultés affaiblies. Ainsi, la Cour conclut que les éléments de preuve ne doivent pas être écartés.
L’importance et la force de la suggestion commune
Reyes c. R., 2022 QCCA 1689
Dans le système de droit criminel canadien, il est possible pour les avocats de la défense et ceux du ministère public de s’entendre afin de suggérer communément la peine que l’accusé se verra imposer ainsi que les modalités de cette dite peine. Le juge se doit par la suite d’examiner l’entente convenue afin de l’accepter ou de la rejeter. L’arrêt Anthony-Cook rendu en 2016 est d’ailleurs venu préciser l’examen auquel doit se soumettre le juge, soulignant d’un même souffle l’importance des suggestions communes dans notre système judiciaire. La Cour suprême nous enseigne que le juge se doit d’accepter cette suggestion, sauf si cette dernière est contraire à l’intérêt public et qu’elle discréditerait l’administration de la justice. Dans l’affaire R. c. Reyes , la Cour d’appel, dans ses motifs majoritaires rédigés par le juge Gagnon et auxquels souscrit le juge Bachand, conclut que le juge de première instance n’a pas procédé correctement à cet examen, commettant ainsi une erreur de principe révisable. Dans ses motifs concurrents, le juge Healy opine que le juge de première instance a simplement fait un nouvel exercice de détermination de la peine, ce qui constitue une erreur au principe déjà établi.
Les faits
Dans le présent cas, les parties avaient fait une suggestion commune au juge en proposant une peine de 3 mois, concurrente à toute autre peine pour laquelle l’appelant avait déjà plaidé coupable. Cette suggestion commune prenait compte du fait que l’appelant avait réglé plus d’une vingtaine de dossiers et qu’une erreur administrative ne lui avait pas permis de régler ce dossier avec les autres. Ce facteur aurait milité vers l’imposition d’une peine concurrente et c’est pourquoi les parties jugeaient que la peine était adéquate. Lors de l’audition, après que l’accusé ait plaidé coupable, le juge a annoncé aux parties qu’il refusait d’honorer leur suggestion commune puis a imposé une peine de six mois consécutive à toute autre peine. Devant la Cour d’appel, l’appelant se pourvoit contre la peine qui lui a été imposée par le juge de première instance au motif qu’il n’a pas appliqué le bon critère lors de l’examen de la suggestion commune.
Le jugement
Dans le présent arrêt, les juges expliquent que selon le critère de l’intérêt public énoncé dans l’arrêt Anthony-Cook, le juge de première instance ne pouvait écarter la suggestion commune que si la peine proposée était susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle n’était pas dans l’intérêt public. Il doit se demander si des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice. Il s’agit d’un critère très rigoureux imposant une déférence importante envers la suggestion des parties.
À cet effet, la Cour explique et réitère à quel point il est important pour le système judiciaire que les suggestions communes soient protégées par un critère rigoureux. Ceci crée une incitation à inscrire des plaidoyers de culpabilité ce qui permet d’épargner les victimes et le système de justice de procès longs et couteux. Cela constitue aussi un avantage pour l’accusé qui peut être pratiquement assuré que la peine proposée conjointement entre lui, son avocat et la couronne sera celle qui lui sera infligée.
Un critère moins rigoureux tel que celui de la justesse dans lequel le juge se demande ce que serait une juste peine ou une peine appropriée n’a pas ces effets. C’est d’ailleurs pourquoi la Cour suprême, dans l’arrêt Anthony-Cook , explique que si le test de l’intérêt public est dissimulé ou confondu de façon à être fusionné avec celui de la justesse, alors cela constituerait une erreur de principe.
En l’espèce, les juges majoritaires sont d’avis, après avoir étudié les motifs du juge de première instance, qu’il a commis une telle erreur de principe. Ils concluent que dans ses motifs, le juge de première instance a, sous le couvert de l’intérêt public, appliqué le critère de la justesse de la peine. De plus, il a erré en omettant de se pencher sur le contexte procédural particulier des dossiers, ce qui dans le présent cas était d’une importance capitale.
Ainsi, les juges ont accueilli l’appel de l’accusé et ont rétabli la peine qui avait été suggérée par les parties en première instance.
Pouvoir discrétionnaire et crédit majoré
Dallaire c. R., 2022 QCCA 1422
Dans cet arrêt, l’appelant se pourvoit en appel contre la décision de la Cour du Québec prononcée le 3 juin 2021 pour une peine d’emprisonnement qui selon lui va à l’encontre du principe de la gradation des peines. L’appelant prétend que la juge de première instance a commis une erreur de principe en imposant une peine consécutive et en refusant d’accorder le crédit majoré pour la période de détention provisoire du 25 juin 2020 au 3 juin 2021 lors de la procédure d’appel.
Les faits
L’appelant commet deux séries d’infractions. Une première qui regroupe trois chefs d’accusations de possession de stupéfiants ou autres substances commises en mai 2018.
Suite à l’enregistrement de ses plaidoyers de culpabilité le 10 septembre 2019, l’appelant est mis en liberté à la condition qu’il suive une thérapie fermée. Cette condition n’est pas respectée et l’appelant est incarcéré pour une deuxième série d’infractions.
La seconde série d’infractions implique des accusations d’entrave à un agent de la paix et plusieurs chefs d’accusation liés à la possession d’arme à feu et de stupéfiants aux fins de trafic.
Le jugement
L’intervention de la Cour d’appel est justifiée si la décision n’est manifestement pas indiquée. En d’autres termes, celle-ci doit s’écarter de manière déraisonnable du principe de la proportionnalité de l’article 718.1 C. cr. ou une erreur de principe doit avoir été commise par le ou la juge de première instance[1]. L’appelant doit donc faire la preuve que la juge de première instance a commis des erreurs en imposant une peine d’emprisonnement de 7 ans.
En ce qui a trait au principe de la gradation des peines, l’appelant met de l’avant que la période de 5 ans prononcée pour l’infraction de possession d’arme à feu prohibée est largement supérieure à la peine de 20 mois de détention qu’on lui avait imposée pour une affaire similaire dans le passé. Cependant, la Cour d’appel confirme que la juge a imposé une peine proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité morale du délinquant et eu égard aux circonstances atténuantes et aggravantes. La Cour d’appel conclut que c’est à juste titre que la juge de première instance a considéré la circonstance aggravante que l’appelant représente un danger, le tout considérant le lourd casier judiciaire de l’appelant et le contexte de la commission des infractions qui s’inscrivait dans des circonstances liées au trafic de stupéfiants. La Cour d’appel conclut donc que la peine n’est pas manifestement non indiquée et qu’il n’y a pas lieu d’intervenir.
Quant au second moyen d’appel, l’appelant a fait valoir qu’en imposant une peine de deux ans consécutive à une peine de cinq ans, la juge de première instance a imposé une peine globale s’écartant manifestement de la fourchette des peines applicable en pareilles circonstances. À ce sujet, la Cour d’appel rappelle que lorsque nous sommes en présence de transactions criminelles différentes ou lorsque nous sommes en présence d’une circonstance aggravante telle que la commission d’une infraction alors que l’accusé fait l’objet de conditions ordonnées par la Cour, il y a lieu d’imposer des peines consécutives. En l’espèce, après avoir considéré l’application du principe de totalité[2], la Cour d’appel conclut qu’en l’absence d’une erreur de principe ayant donné lieu à une peine manifestement non indiquée de la part du juge de première instance, il n’y a pas lieu d’intervenir.
Finalement, quant au moyen d’appel relatif au calcul du crédit majoré, dans R. v. Barnett, les juges Doherty et Rouleau rappellent les propos de la juge Dutil dans Larrivée c. R. qui souligne que l’appelant devait faire la preuve[3] d’un « lien suffisent » entre l’infraction pour laquelle une peine a été prononcée et la détention provisoire[4]. L’exigence d’un « lien suffisant » prend sa source de l’expression anglaise du paragr. 719 (3) « as a result of » qui doit être interprétée de manière à imposer l’existence d’une relation causale comme condition à l’application du crédit majoré. Or, la Cour d’appel conclut que l’appelant n’a pas établi ce lien. Ce faisant, elle souligne que le tribunal de première instance possède un pouvoir discrétionnaire[5] qui commande la déférence, de telle sorte qu’il n’y a pas lieu en l’espèce d’intervenir en appel quant au calcul de la majoration du crédit à accorder.
La profération de menaces n’est pas condamnable sans une intention spécifique de susciter la crainte !
Patoine c. R., 2022 QCCA 1517
Il est de principe qu’une condamnation à une infraction criminelle nécessite la réunion d’un élément matériel (actus reus), l’acte infractionnel, ainsi que d’un élément moral (mens rea), l’intention criminelle. Pour la plupart des infractions, seule une intention générale est nécessaire, c’est-à-dire l’intention de commettre les actes. Cependant il est parfois requis que s’adjoigne une intention spécifique, et c’est le cas pour l’infraction de proférer des menaces de causer des lésions ou la mort prévue à l’art. 264.1 C.cr.
Les faits
L’accusé en la présente affaire a déclaré le 23 Juillet 2020 dans une publication facebook : « Les dirigeants nous déclarent la guerre!!! C pas compliquer Lui qui m’oblige au vaccin je le tue Point à ligne. »
À la suite de cela, il fut accusé d’avoir proféré des menaces de causer la mort à l’encontre des dirigeants du gouvernement du Québec.
Celui-ci a indiqué avoir agi sans intention de s’en prendre véritablement à quelqu’un et qu’il s’agissait de paroles partagées sous le coup de la colère.
Le juge de première instance a condamné l’accusé en indiquant très brièvement dans son jugement que celui-ci avait l’intention de prononcer les paroles, et qu’il avait l’intention d’intimider.
Le jugement
En premier lieu, la Cour d’appel (ci-après « la Cour ») a annulé le verdict de culpabilité et a acquitté l’accusé en réaffirmant deux principes déjà bien établis dans la caractérisation de l’intention de menaces.
Tout d’abord, elle rappelle l’exigence d’intention spécifique en matière de menaces. L’accusé ne doit pas seulement avoir l’intention de proférer les mots menaçants qui sont débattus mais ceux-ci doivent aussi avoir pour but d’intimider ou d’être pris au sérieux[1] . En d’autres termes, les paroles ou écrits proférés doivent revêtir une intention de susciter un sentiment de crainte chez le destinataire[2] . La Cour d’appel ajoute que le témoignage de l’accusé est déterminant pour analyser cette intention[3] . Subséquemment, la Cour indique, rappelant le précédent de l’arrêt R. c. McRae[4] , que le mobile, qu’on pourrait définir comme les raisons psychologiques qui ont mené l’accusé à commettre l’acte, n’est pas pris en compte dans l’analyse de l’intention[5]. De fait, le mobile et l’intention sont deux choses distinctes.
En second lieu, l’enseignement qui nous est offert par cet arrêt est l’obligation qui incombe au juge de première instance d’analyser le témoignage de l’accusé quant à ses intentions réelles et d’expliquer les raisons qui le mènent à retenir ou écarter l’intention spécifique.
En effet, afin de censurer la décision de première instance, le juge s’exprime en ces termes: « […] Encore faut-il que l’analyse quant à la question de la mens rea soit apparente. Le juge devait traiter du témoignage de l’appelant quant à ses intentions réelles et expliquer pourquoi il ne les retenait pas. »[6]
Il est possible d’en conclure que la simple profération de paroles menaçantes, à défaut de l’intention qu’elles soient prises au sérieux, et même si exprimées sous le coup de la colère ou de la frustration[7] , ne suffit pas à justifier une condamnation pour menace de causer la mort.
Cependant, il faut préciser que cet arrêt s’intéresse principalement au défaut de motivation du juge. Ainsi, il serait erroné de conclure que la présente décision encourage une forme de droit à l’expression de la colère. Plutôt, cet arrêt nous rappelle qu’un juge de première instance conserve le pouvoir d’apprécier le fardeau de preuve dont le ministère public doit se décharger pour démontrer la présence de l’intention spécifique inhérente à l’infraction de proférer des menaces prévue à l’art. 264.1 C.cr. En effet, la Cour d’appel n’hésite pas à rappeler que l’analyse de la crédibilité est l’apanage du juge de première instance[8] .
Ceci étant, la Cour d’appel conclut qu’en l’absence d’explications de la part du juge de première instance justifiant pourquoi le témoignage de l’appelant aurait dû être écarté, il est difficile de comprendre comment il a pu conclure à la présence d’une intention spécifique. Ce faisant, la Cour d’appel estime qu’il est tout à fait plausible que l’accusé ait écrit ces paroles sous le coup de la colère et de la frustration, vu ses explications et les circonstances de l’affaires.
Pour ces raisons, la Cour d’appel renverse le jugement de première instance pour prononcer l’acquittement de l’accusé.
Sources:[+]
↩1 | R. c. McRae, 2013 CSC 68, par. 23., [« R. c. McRae » ] |
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↩2 | R. c. McCraw, [1991] 3 RCS 72 |
↩3 | Patoine c. R., 2022 QCCA 1517, par. 24. |
↩4 | R. c. McRae, par. 40. |
↩5 | Patoine c. R., par. 31 |
↩6 | Ibid, par. 29. |
↩7 | Ibid, par. 32. |
↩8 | Ibid, par. 29 |