
R. c. J.F., 2022 CSC 17
Les faits
Au terme de six ans de procédures, l’accusé est acquitté de sept chefs d’accusation de nature sexuelle par le juge de première instance. Alors que le juge de première instance est en délibéré, la Cour suprême rend l’arrêt R. c. Jordan[1]. Le jugement de première instance est ensuite cassé par la Cour d’appel du Québec et un nouveau procès est ordonné. Avant la tenue du second procès, la défense dépose une requête Jordan et demande l’arrêt des procédures en vertu de l’article 11b) de la Charte. L’accusé prétend qu’il faut mettre un terme aux procédures en raison du délai raisonnable et inclus dans son calcul les délais du premier et du second procès. La Cour du Québec et la Cour d’appel du Québec donne raison à l’accusé.
Les questions en litige sont les suivantes :
1. L’accusé peut-il, après que le juge ait ordonné un nouveau procès, déposer une requête Jordan en invoquant les délais du premier procès?
2. Les plafonds établis dans l’arrêt Jordan s’appliquent-ils aux délais liés au deuxième procès?
Le jugement
Le pourvoi du ministère public est accueilli.
Le cadre d’analyse de l’arrêt Jordan s’applique au second procès. Cependant, si la requête Jordan est présentée à la suite de l’ordonnance d’un nouveau procès, seuls les délais en lien avec le second procès seront considérés, sauf dans certaines circonstances exceptionnelles.
Une requête déposée lors du second procès fondée sur les délais déraisonnables du premier procès est jugée tardive. En effet, bien que le silence ou le défaut d’agir n’équivaut pas à une renonciation claire de l’accusé à contester les délais, les parties ont un devoir de présenter leurs requêtes en temps utile et le défaut d’agir ainsi nuit à la saine administration de la justice. La Cour suprême décide donc que la computation de délais recommence à la suite de l’ordonnance d’un nouveau procès.
Les délais du second procès sont néanmoins visés par l’arrêt Jordan. La Cour suprême n’adopte pas de plafonds différents pour les deuxièmes procès. C’est donc le plafond de 18 mois qui s’applique pour les affaires entendues devant une cour provinciale et le plafond de 30 mois qui s’applique pour les affaires entendues par une cour provinciale au terme d’une enquête préliminaire ou devant une cour supérieure. Cependant, la Cour suprême propose deux critères à tenir en considération lors de l’analyse des délais d’un deuxième procès. La tenue d’un deuxième procès doit être priorisée et les délais doivent généralement être plus courts que ceux du premier procès. Ainsi, l’absence d’empressement de la part des parties à tenir un second procès peut militer en faveur d’un arrêt des procédures.
Dans le cadre de la présente affaire, la Cour suprême juge que l’accusé a agi tardivement et que sa requête en arrêt des procédures n’a pas été déposée en temps utile. La requête ayant seulement été déposée à la suite de l’ordonnance de la tenue d’un nouveau procès, seuls les délais du second procès peuvent être comptabilisés. Les délais du second procès étant de 10 mois et 5 jours et donc bien en-deçà du plafond de 30 mois, la Cour suprême juge que le dossier été priorisé et rejette la requête en arrêt des procédures.
La juge Côté, dissidente, est en en accord avec le cadre d’analyse proposé par les juges majoritaires. Cependant, puisque le procès était terminé et l’affaire était en délibéré lorsque la Cour suprême a rendu l’arrêt Jordan, il s’agit d’un cas d’exception qui justifie que les délais du premier procès soient comptés. Selon la juge Côté, le dossier a débuté sous l’ère de la décision R. c. Morin[2] et la mesure transitoire exceptionnelle doit s’appliquer. Ainsi, le pourvoi aurait dû être rejeté et l’arrêt des procédures, confirmé.
Sources:
↩1 | R. c. Jordan, 2016 CSC 27, https://canlii.ca/t/gsds4 |
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↩2 | R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771, https://canlii.ca/t/1fsc7 |
Publié le 24/08/2022